Sunday, November 22, 2009

La main est une chose (Jean-Paul Henry)

Je ne sais pas vous, mais moi je n'ai rien vu. Ni la main, ni le but. Ou plutôt: ni les mains, ni le but. Car Thierry Henry, ou plutôt sa main - Freud nous a au moins appris ça, tout ce que fait notre main n'est pas volontaire, on peut parler de réflexe, mais allons plus loin, et parlons de "lapsus" (après le "lapsus linguae", à l'oral, le "lapsus calami", à l'écrit, voici donc le "lapsus manus", à la main), sa main a commis deux lapsus. Ce qui est intéressant, c'est donc qu'on a affaire à un double lapsus. C'est vrai, ça commence à faire beaucoup, mais quand on aime (l'équipe de France), on ne compte pas (ses lapsus manus).

Pourtant, l'équipe de France de philo (hélas! défunte) compte, elle, des commentateurs autrement qualifiés, même s'il est vrai qu'eux aussi utilisent pour ce faire exclusivement les mains. Les mauvaises langues diront qu'il arrivait parfois à Sartre d'écrire comme ses pieds, mais à sa décharge, ces accidents de plume ne lui arrivaient que lorsqu'il était dopé. L'Etre et le Néant, de son propre aveu, fut écrit sous amphétamines. Suite à cet aveu scandaleux, nous ne pouvons qu'engager les inventeurs du devoir de réserve pour écrivains à ajouter à leur liste pour le Père Fouettard le contrôle antidopage dans les toilettes du Flore.

C'est Sartre, pourtant, athlète de terrasses de café et de chambres d'hôtel, oui, l'auteur des "Mains sales", qui va nous éclairer sur cette "faute" de la main. Faute ou erreur? La main, dit Sartre, sait toujours ce qu'elle fait. Croire le contraire, c'est faire preuve de mauvaise foi. Prenons cette femme, propose Sartre, qui se rend à un premier rendez-vous. Pour la beauté de la chose, trichons un peu nous aussi, et imaginons-la irlandaise: « Elle sait très bien les intentions que l'homme qui lui parle nourrit à son égard. Elle sait aussi qu'il lui faudra prendre tôt ou tard une décision. Mais elle ne veut pas en sentir l'urgence. » Car, comme l'équipe de France, cet homme s'est donné 90 minutes, plus prolongations si nécessaire, pour conclure. Certes, cet homme n'a pas de sponsors qui l'incitent grassement à l'emporter, son désir ne s'ancre que dans la loi de l'espèce, ce n'est pas Adidas qui lui donne envie de Niker, il a juste envie de baiser, mais poursuivons l'analogie (et rappelons que Nikè, en grec, signifie victoire). Car l'équipe d'Irlande, comme notre Irlandaise du Flore, « refuse de saisir le désir pour ce qu'il est, elle ne lui donne même pas de nom, elle ne le reconnaît que dans la mesure où il se transcende vers l'admiration, l'estime et le respect. »

Et quand l'homme lui prend la main, au vu et au su de tous, elle fait comme si de rien n'était, « elle entraîne son interlocuteur jusqu'aux régions les plus élevées de la spéculation sentimentale». "Fair play", "honneur", "mérite", tous ces mots creux viennent habiller la pulsion reptilienne, ou mammifère, disons - la spéculation, de mauvaise foi, fait comme si le désir n'existait pas. « Et pendant ce temps, le divorce du corps et de l'âme est accompli ; la main repose inerte entre les mains chaudes de son partenaire : ni consentante ni résistante – une chose. »

Le capitaine de l'équipe de France de football confirme donc l'analyse du capitaine de l'équipe de France de philo: la main est une chose. Et L'Irlandaise s'est bien fait baiser.