Monday, December 07, 2009

La mariée était en gris

Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, disait le poète Pierre Reverdy. Il n’y a pas d’amour, tant que vous n’en aurez pas donné la preuve, corrige le ministre de l’immigration. Ce délicat peintre de l’âme humaine donne sa leçon de couleur: certes, « le mariage gris n'est pas reconnu par le droit », mais « il devrait être sanctionné de façon plus lourde encore que le mariage blanc ».

Dans le mariage blanc, c’est vrai, il y a complicité: j’accepte de me marier avec toi, pas par amour, mais pour t’aider à avoir tes papiers. Au fond, c’est de l’amour. Pas sexuel: de la bonté. Un chrétien dirait de la charité. Un républicain parlerait de fraternité. Un couple qui commence par une telle complicité a des années d’avance. Alors que le mariage gris, c’est quand un seul des deux mariés sait qu’il se marie à blanc, quand l’autre y croit vraiment, et se marie en noir, donc. Blanc plus noir, ça donne gris. Bravo le peintre.
Qu’est-ce que le mariage gris ? C’est un mariage plus blanc que blanc. Comme disait Coluche, ça doit être gris clair. Le «mariage gris», rappelle le ministre, est «avant tout une fraude aux règles d'entrée et de séjour sur notre territoire, et d'accès à notre nationalité», mais aussi «une atteinte à l'institution du mariage», et un «abus de faiblesse» qui crée des «situations de souffrances individuelles, de blessures profondes ».

Non aux blessures profondes de l’amour. Non à la délinquance sentimentale, non à l’injustice affective... mais uniquement pour les étrangers. Les Français ont toujours le droit d’être des salauds, ouf, merci. Un privilège national, bien mérité. Mais faire semblant d’aimer, est-ce toujours un crime? Faut-il reprocher aux prostituées, demandait le philosophe Alain à ses élèves, de simuler des passions qu’elles ne ressentent pas ? Et sans aller jusqu’au bordel, n’est-ce pas toujours le cas dans un mariage ? N’y a-t-il pas un faire semblant qui fait partie de l’amour ? Comment sinon tenir sa promesse d’aimer toujours ? Pascal donnait cette recette à ceux qui ne parvenaient pas à croire : la foi s’attrape en se mettant à genoux. L’amour, je vous le concède, pas toujours.

Reste que punir celui qui épouse sans aimer est inutile, puisque le mariage lui tient déjà lieu de punition. Pierre Reverdy écrivait : « Le monde est ma prison
si je suis loin de ce que j'aime ». N’est-ce pas chèrement payer, de se laisser aimer sans aimer ? Celui qui est prêt à faire ainsi don de sa personne pour un simple bout de papier ne mérite-t-il pas plutôt notre admiration ? Ne fait-il pas la preuve de son amour supérieur de la France ?
Le ministre rappelle, avec, on le sent, une pointe de regret, que «notre nation est particulièrement généreuse» concernant les mariages mixtes, mais elle l’est également en fins slogans. Après « La France, tu l’aimes ou tu la quittes », voici « La Française, tu l’aimes ou tu finis en taule. » En France, on a le droit d’obtenir ses papiers par amour, c’est entendu, et c’est généreux, mais à la condition d’aimer vraiment, et d’aimer toujours. Ainsi a parlé le chevalier blanc (charter) du ministère de l’Amour – pour ceux qui se souviennent de Georges Orwell et de son 1984, où l’Etat, en « Grand Frère », réglait aussi les relations amoureuses.

A l’approche des élections régionales, le débat sur l’identité nationale se double d’un combat contre l’insécurité affective, qui ne sévit pas qu’en banlieue, mais au coeur de nos coeurs. Bientôt une loi contre l’abus de faiblesse sentimentale. La répression au secours de l’amour. On n’y est pas encore, évidemment, il ne s’agit que d’un « groupe de travail », chargé d’envisager «des mesures préventives autant qu'on le pourra, sinon répressives» pour punir, écoutez cette trouvaille digne d’Emile Ajar, l’« escroquerie sentimentale à but migratoire». Ouvrons au plus vite, nous aussi, pas un camp, c’est prématuré, ou déjà fait, mais un groupe de travail. Car l’escroquerie intellectuelle à but électoral n’est toujours pas punie par la loi.

Que décider, en effet, si l’étranger quitte sa Française, mais par amour? D’une autre Française, par exemple? Blaise Cendrars, poète d’origine suisse, naturalisé français après avoir perdu un bras pour la France lors de la guerre de 14, dans la Légion Etrangère, nous confirme le problème :

Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir

Bonne chance au groupe de travail. Monsieur le ministre, notre nation a été particulièrement généreuse en poètes. A chacun sa spécialité. Occupez-vous donc de ce que vous savez faire. Pour l’amour, ils s’en chargent.